Histoire des Gnaouas
Originaires de l'empire du Soudan Occidental (Mali, Guinée, Sénégal, Ghana, Niger), les Gnaouas, nomades obligés des temps anciens, ont pris racine dans plusieurs régions du Maroc : Marrakech, Essaouira, Casablanca, Rabat, Meknès, Fès, Assilah et Tanger.
Depuis toujours, il y a une interpénétration entre l'Afrique noire et le Maroc. Dès l'antiquité, un comptoir de pourpre fut établi par Juba II, roi de Mauritanie sur l'île située en face d'Essaouira et un commerce s'établit.
Plus tard, les Almoravides (souverains berbères du XIème siècle) tentèrent d'introduire l'Islam dans l'empire du Ghana en Afrique Occidentale. Au XIIème siècle, la dynastie Almohade consolida l'empire Arabo Mulsulman. Ce territoire englobait tout le Maghreb actuel, l'Andalousie et de vastes régions subsahariennes regroupées à l'époque sous le nom de Soudan.
Des esclaves furent ramenés de ces pays et enrôlés dans l'armée. Les défilés militaires (notamment ceux de la Garde Royale) se composaient souvent d'esclaves noirs. Les rythmes des tambours évoquent ces marches.
Au XVIème siècle, le sultan Ahmed El Mansour de la dynastie Saâdienne organisa une expédition à Tombouctou. Il revint victorieux et en rapporta une grande quantité d'or, ce qui lui valut le surnom de El Dehbi. Le Maroc connut alors une ère de prospérité. Le sultan développa des plantations de canne à sucre et fit venir une main d'oeuvre noire qui constitua la première vague de Gnaouas qui s'installèrent dans le pays berbère des Haha.
On les appelle Gangas, du nom de leur tambour. On les trouve encore aujourd'hui dans cette région. Ils sont adeptes de Lalla Mimouna. Leurs instruments sont les tambours et les crotales (krakebs). Le rituel des Gangas se déroule en été, à la campagne, la journée. C'est un rite agraire.
Au XVIIème siècle, le sultan Alaouite Moulay Ismaîl enrôle des centaines de noirs en provenance de Guinée dans sa garde personnelle. Ces soldats étaient appelés Boukhari parce qu'ils prêtaient serment sur le livre d'El Boukhari, les hadiths ou récits du prophète. La mort du sultan entraîna la dispersion de la troupe. Une partie se retrouva à Essaouira. Ils participèrent aux travaux des murailles de la ville avec 500 ouvriers noirs venus du Soudan. Ces noirs s'installèrent dans un quartier à côté de la Kasbah. Ils constituent la deuxième vagues des Gnaouas. Ceux-ci se réclament de Sidna Bilal, le premier muezzin de l'Islam appelant les fidèles à la prière.
Leurs instruments sont les mêmes que ceux des Gangas, donc les tambours et les crotales, plus le guembri.
Le rituel des Gnaouas est une Lila (nuit, veillée) qui a lieu dans une maison ou dans la Zaouïa (lieu saint), c'est un rite citadin.
Précisons que les Gnaouas ne sont pas tous descendants d'esclaves. Plusieurs d'entre eux étaient des hommes libres et des fonctionnaires. De plus, il était de bon ton chez les musulmans d'accorder la liberté à un esclave.
Les Gnaouas devinrent tous musulman, mais la pratique de leurs coutumes et leur musique d'origine étaient tolérées. Ils constituent des confréries religieuses et non pas une ethnie, une tribu ou une communauté d'esclaves. Les membres de ces confréries sont pour la plupart originaires d'Afrique noire, mais d'autres musulmans d'origine et de couleur différente en font partie.
La cérémonie et le déroulement d'une nuit des Gnaouas :
La Lila se développe dans l'espace d'une nuit. On la désigne par ce terme qui veut dire nuit en arabe dialectal. Son rituel comporte quatre grandes phases : La'ada (la coutume), Kûyû, Bambra et les M'louk.
La'ada est une procession haute en couleurs, un véritable spectacle musical. Ce défilé bruyant qui incite à la danse et à la vibration n'est pas l'exclusivité des Gnaouas : les autres confréries (Aïssaouas, Hamadchas, ...) défilent de la même manière, étendards et musique en tête, lorsqu'elles vont célébrer la Lila.
Les Kûyû (tambours, crotales) sont une série de danses effectuées par les musiciens de la troupe. Ce n'est pas encore la transe, mais un jeu préliminaire, un spectacle, une préparation à la phase sérieuse de M'louk. On y évoque les anciens maîtres, les saints de l'Islam, des personnages et esprits aux noms africains, la vie des esclaves. C'est pourquoi cette partie est également appelée Wlad Bambra (les fils de bambra).
Les M'louk viennent à la fin des Kûyû. Après une pause, on apporte sur un plateau (tbîqa) de l'encens et des foulards de différentes couleurs. Ces foulards servent de devises et de clés aux différents M'louk. Ceux-ci sont en effet constitués en groupes distincts caractérisés par des couleurs différentes. Ainsi, la couleur blanche désigne les M'louk des Jilala patronnés par Moulay Abdelkader Jilali et composés de Bouderbala et des Bouhala. La couleur noire comporte l'Oghmami (le nuageux) et sidi Mimoum. Le bleu ciel désigne le Moussaoui et les M'louk de la mer : Moussa Barkyou, Bala Maca (la rien de mer) et Koubali Bala. Se suivent ainsi sept couleurs avant d'aboutir au final des femmes. La transe atteint alors son paroxysme.
Les instruments :
Le guembri ou hajhouj est un luth à trois pincées de registre grave. Il a la forme allongée, presque rectangulaire d'un demi-tronc d'arbre coupé transversalement. La table d'harmonie tendue sur le bois est faite en peau de chameau. Le manche de l'instrument est une longue tige cylindrique fabriquée comme la caisse de résonnance dans du bois d'acajou. Les cordes en boyau de chèvre sont nouées à l'extrémité du manche par des lacets. La corde du milieu est toujours jouée à vide, comme un bourdon. Pour accorder l'instrument, puisqu'on ne dispose pas de chevilles, il faut tirer sur la corde et déplacer le noeud des lacets. Le pouce et l'index de la main droite pincent les cordes tandis que les trois autres doigts frappent la table d'harmonie. Un sistre métallique s'encastre à l'extrémité du manche et est mis en résonnance par les vibrations des cordes.
Les qrâqeb sont des crotales que le percussionniste actionne dans chaque main entre le pouce et le médius. Elles sont en forme de huit d'environ 30 cm et sont attachées par paire au moyen de liens de cuir. En les entrechoquant, le percussionniste produit tous les détails du rythme.
Le Tbel est un grand tambour à deux têtes maintenu sur le côté gauche du musicien par une bandoulière et joué avec deux baguettes de forme différente : dans la main droite une baguette incurvée en bois de figuier qui percute le centre de la peau tandis que la main gauche frappe les bords de la membrane avec une baguette plus flexible en bois d'olivier.